Chant choral et Coronavirus

Le chant choral au temps du Covid19 –  26 cartes postales du monde entier 
Au mois de mars dernier (2020), le Chœur philharmonique de Strasbourg a suspendu ses répétitions et annulé ses concerts jusqu’à nouvel ordre, pour cause de Covid19. Tenus à l’isolement, nous avions néanmoins la certitude de ne pas être seuls : la pratique chorale est internationale autant que la pandémie. Nous avons alors lancé une enquête auprès de chœurs du monde entier pour partager nos bonnes idées et initiatives, nos constats et nos échecs.
26 chefs ou responsables de plus d’une soixantaine de chœurs ont répondu à notre appel : 5 chœurs professionnels, 12 chœurs symphoniques, 13 chœurs universitaires, 7 ensembles vocaux de haut niveau, 1 chœur de paroisse et 24 chorales de base – depuis le petit ensemble de 8 chanteurs, jusqu’au grand chœur de 200 choristes, le tout réparti sur quatre des cinq continents : Etats-Unis, Canada, Argentine, Brésil et Chili pour l’Amérique, Pays Bas, Grande-Bretagne, Allemagne, Italie, Russie, Espagne, Lettonie, Finlande et France pour l’Europe, Afrique du Sud pour le continent africain et Japon pour l’Asie.
Cette enquête n’est pas une enquête scientifique ; elle ne répondra pas aux questions sur la dangerosité du virus pour les choristes, elle ne proposera pas de solution miracle ni définitive, et n’indiquera pas non plus quand vous pourrez à nouveau donner ou écouter des concerts.
Les réponses à notre enquête sont à recevoir comme des cartes postales des quatre coins d’un monde qui, comme le virus, dépasse les frontières géographiques : celui de l’amour de la musique chorale, de la créativité, et de la pugnacité collective.

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La rupture du fil du temps
Avec l’arrêt des répétitions et concerts, la pandémie a pour tous cassé le fil du temps, au mauvais moment pour “Blagovest” de Riga (Lettonie) qui entamait les festivités de son 30e anniversaire. « L’état d’urgence dû à la pandémie de corona nous a soudainement frappés et a rayé tous nos plans ambitieux pour la saison de l’anniversaire. »
Pour Cape Town (Afrique du Sud), ce fut la rupture historique d’une programmation cinquantenaire : l’arrêt des répétitions «  s’est produit juste avant nos représentations annuelles du Messie de Haendel que le chœur Philharmonia a chanté sans interruption à l’hôtel de ville du Cap le Vendredi Saint et le dimanche de Pâques pendant les 52 dernières années ! ».
Dans ce contexte d’avenir incertain, le passé constitue une valeur de refuge et permet de prendre patience. On évoque les projets passés en attendant de pouvoir parler à nouveau des projets futurs. A Milan (Italie), le chœur de la Scala partage sur des sites et des réseaux sociaux, un large répertoire d’images historiques et récentes.
 
Pour les chœurs aussi, les conséquences sociales et économiques sont importantes
L’annulation des répétitions et concerts signifie pour les chœurs la suspension de l’activité musicale, avec la rupture du lien social et les conséquences économiques que cela génère. Chaque chœur, en fonction de son profil, est diversement frappé.
Dans le milieu professionnel, chanteurs et chefs mais aussi de nombreux métiers sont affectés par la suspension des activités, comme le souligne le chœur du Teatro Massimo de Palerme (Italie) : les tailleurs, machinistes, régisseurs, bibliothécaires et l’administration. La compensation financière, ou pas, de l’arrêt de l’activité dépend directement des politiques nationales et varie en fonction des statuts des ensembles. Si, à Vancouver (Canada), « le chœur reçoit un soutien considérable de la part du gouvernement canadien », la situation est plus délicate pour le chœur de Bamberg (Allemagne), du fait des dispositifs réservés aux orchestres ou aux solistes, et non aux chœurs. Les chanteurs free-lance du Senzoku Freshman Singers de Tokyo (Japon ) attendent d’être à nouveau employés par leur agence. Les chefs salariés des chœurs amateurs ne sont pas en reste de ces difficultés, subissant en ricochet les politiques de chaque pays vis à vis des chœurs associatifs qui les emploient.
Les diversités nationales s’expriment aussi dans la façon de se comporter face à l’épidémie. Comme le souligne Tsutomu Matsumura, directeur général de l’Association chorale du Japon à Tokyo (Japon), « ici, le Japon a décrété un confinement qui n’a aucune force juridique, mais comme c’est notre caractère national, nous gardons en permanence une ferme retenue et respectons ces restrictions. » Les chefs rivalisent alors de créativité pour proposer des alternatives.
La créativité des chefs de chœurs fait perdurer l’activité chorale
A Paris (France), le chœur de la cathédrale américaine découvre un autre répertoire de duos, trios et quatuors pour les offices préenregistrés. A Ekaterinbourg (Russie),le Khor lyubiteley peniya enregistre à distance le chant  ‘Le Jour de Victoire’ de D. Tukhmanov – un chant célébrant la fin de la Seconde Guerre Mondiale, choisi pour son pouvoir symbolique.
A Bamberg (Allemagne), le Chœur symphonique bénéficie de l’enquête scientifique commanditée par son orchestre partenaire auprès de l’Institut de médecine musicale de Freiburg, de l’Hôpital universitaire et de l’Université de musique de Freiburg, pour évaluer le risque d’une infection à coronavirus dans la musique.
A Madrid (Espagne) Jose Mena Polo organise «  réunions et tentatives de répétition » avec ses chœurs communautaires, séances de technique vocale et documents sur les œuvres pour maintenir l’intérêt des choristes.
A Helsinki (Finlande) Noora Hirn, cheffe du chœur de chambre Värinä, organise «  un atelier sur la musique chorale rythmée avec un spécialiste dans ce domaine, une session avec un professeur de chant, une leçon théorique sur l’intonation, (…) des répétitions de groupe régulières, (…) un enregistrement d’une pièce moderne ; (…) commande des vidéos de chants et d’exercices de respiration, et [organise] un atelier pour planifier les objectifs futurs à long terme du chœur. »
A Kyoto (Japon), Yusuke Ishihara crée un groupe internet « chœurs séparés », pour enregistrer à distance le lied de Mendelssohn Abschied vom Walde – à cette occasion, il s’initie aux logiciels et technologies nouvelles. A Osaka (Japon), Hideki Motoyama lance un appel Facebook pour un « telechorus project » et programme un « telechorus festival ».
 
 
Dans ces expériences résilientes, la solidarité et l’esprit de responsabilité collective s’expriment pleinement. A Cianorte (Brésil) Nicolás González Martínez suspend les répétitions le 14 mars, avant les consignes nationales, par souci pour ses choristes. A Santiago (Chili) Karin Friedli souligne l’importance du chant pour maintenir l’équilibre et la santé mentale dans l’isolement. A Strasbourg (France), nous lançons cet appel aux chœurs afin de partager nos expériences.
 
La technologie numérique ne peut remplacer la présence réelle dans un même lieu
Si, comme Aleksandrs Brandavs de Riga (Lettonie), de nombreux chefs se réjouissent d’avoir eu un contact plus individualisé avec leur choristes, tous pointent aussi les limites de ces expériences numériques : difficultés liées à la fracture numérique, comme l’évoque Emiliano Flores  de San Miguel de Tucumán (Argentine) : inégalité des services internet et des capacités de connexion pour les territoires ; inégalité d’équipements et de maîtrise des outils informatiques pour les choristes. Difficultés musicales également, comme le dit Valérie Fayet, cheffe du chœur de l’Orchestre National des Pays de la Loire à  Nantes (France), «  Faire de la musique ensemble et à 70 ce n’est plus possible. J’ai du mal à imaginer chacun chez soi avec des oreillettes. Pour moi, c’est mieux que ne rien faire du tout, mais ce n’est pas de la musique. C’est juste une expérience technologique. » Constatant ces mêmes difficultés musicales, Olga Doubovskaya à Moscou (Russie) conclut en demi-teinte : « L’important, comme toujours dans un chœur, c’est la démarche collective.»
Et pour la reprise ? 
Pour la reprise aussi, les chœurs sont soumis aux choix gouvernementaux ; et de ces perspectives découle pour chacun la possibilité, ou pas, de se projeter dans l’après Covid19. Ainsi en témoigne Simon Halsey de Londres (Angleterre), également chef à Birmingham (Angleterre) et à Barcelone (Espagne) : «  Le Royaume-Uni est très en retard dans cette crise. Dès demain, je commencerai à élaborer un plan pour redémarrer avec des sections et des octuors – exactement comme ils le font déjà à Berlin. Mais je ne sais pas si nous avons des concerts à prévoir, je ne sais pas. Qui paiera pour nos répétitions et où pourra-t-on se rencontrer ? Je m’attends à ce que Barcelone commence plus tôt que le Royaume-Uni. »
Pas de plan non plus pour Eduardo López Cabello et ses trois chœurs de Leeuwarden, Blokker et Amsterdam (Pays-Bas): « En effet, aucun des chœurs n’a de plan fixe pour reprendre physiquement les répétitions, car le gouvernement ne sait pas encore clairement quand les règles seront abaissées. » Si, à Helsinki (Finlande), le chœur Kampin Laulu reprendra ses répétitions ce mois de juin, Felipe Ramos à Vitacura (Chili) est dans l’attente : « Nous sommes très dépendants des institutions, donc quand elles décideront d’ouvrir leurs portes, nous reviendrons avec toutes nos forces ! » John Warren de Syracuse (Etats-Unis) attendra quant à lui la reprise de l’année universitaire, mais sans savoir si les effectifs habituels seront autorisés : « Je ne suis pas sûr qu’il y ait de la place pour que 120 personnes puissent répéter efficacement en étant aussi éloignées les unes des autres. Jusqu’à présent, l’orchestre a annulé tous les concerts de printemps et nous discutons de différentes solutions pour l’automne. » 
Dans tous les cas, là encore, les acteurs du monde choral font montre d’un optimisme réaliste mais porteur, comme en témoigne Pascale Verdier, cheffe du Chœur de l’Orchestre de Pau – Pays de Béarn  à Pau (France) : « Nous verrons dès la rentrée si le fonctionnement peut être (doit être) chamboulé, modifié, amélioré… mais dans tous les cas : HAUT LES CHŒURS !!! »
Un monde choral transformé par la pandémie ?
Au fil de ces cartes postales s’expriment la richesse culturelle et musicale du monde choral, mais aussi, entre les lignes, la diversité de ses enjeux – et, en fil conducteur qui prédomine, la force de résilience de ses acteurs, leur formidable potentiel d’optimisme. Fallait-il cette épidémie pour nous le rendre aussi sensible ? Quel sera « l’après » pour notre pratique ainsi touchée de plein fouet ? Ici comme ailleurs, cet épisode provoquera certainement des transformations. On peut néanmoins et sans nul doute être convaincu, à la lecture de ces témoignages, que cet arrêt forcé continuera d’inspirer les chefs et choristes du monde entier – comme l’exprime Elizabeth MacIsaac, cheffe de l’Ensemble Laude de Victoria (Canada) :
« Lorsqu’un champ est laissé en jachère pendant un an, c’est pour lui permettre de redevenir plus fertile, de reconstituer ses ressources. Quand quelque chose est laissé en sommeil pendant un certain temps, c’est l’occasion de rêver de nouvelles idées, de rajeunir, d’aller dans des directions pour lesquelles il n’y avait pas d’énergie et de temps auparavant, de réévaluer, de décider quelle culture serait bonne à planter ensuite. Les agriculteurs, ici, c’est nous. »
 
Catherine Bolzinger,
Directrice artistique et musicale du Chœur Philharmonique de Strasbourg
Remerciements
 
Nous remercions les chefs, responsables et personnes de contact qui ont répondu à notre appel : Christine Rix de Cape Town (Afrique du Sud), Michael Holzäpfel de Bamberg (Allemagne), Emiliano Flores de San Miguel de Tucumán (Argentine), Nicolás González Martínez de Cianorte (Brésil), Kari Turunen de Vancouver (Canada), Elizabeth MacIsaac de Victoria (Canada), Karin Friedli de Santiago (Chili), Felipe Ramos Taky de Vitacura (Chili), Jose Mena Polo de Madrid (Espagne), Simon Halsey de Londres (Angleterre), également chef à Birmingham (Angleterre) et à Barcelone (Espagne), Noora Hirn, Saara Aittakumpu et Päivi Ruoste de Helsinki (Finlande), Zach Ullery de Paris (France), Valérie Fayet de Nantes (France), Pascale Verdier de Pau (France), Tsutomu Matsumura, Yusuke Ishihara et Kikuko Matsuda de Tokyo (Japon), Kayo Nakata d’Osaka (Japon), Silvia Del Grosso de Milan (Italie), Ciro Visco de Palerme (Italie), Aleksandrs Brandavs et Inga Pelša de Riga (Lettonie), Eduardo López Cabello d’Amsterdam, également chef à Leeuwarden et Blokker (Pays-Bas), Olga Doubovskaya de Moscou (Russie), Andrey Starikov d’Ekaterinbourg (Russie), John Warren de Syracuse (États-Unis). Grand merci aussi à Marie Kobayashi et Hikari Mukai pour leur aide dans le contact avec le Japon, à Sofia Danesi pour sa mise en contact avec l’Argentine ainsi qu’à Nicolas Ullmann pour sa mise en contact avec l’Espagne.
 
 
Une enquête réalisée par le Chœur philharmonique de Strasbourg
Conception et synthèse – Catherine Bolzinger
Contacts avec les participants – Catherine Bolzinger, Maja Cappello, Philippe Frison, Anastasia Kananovich, Denis Le Moullac, Barbara Orellana
Traductions – Caterina Bolognese, Alice Domball, Charles Johnston, Anastasia Kananovich, Denis Le Moullac, Thomas Loechner, Barbara Orellana
Mise en forme et en ligne – Charlaine Desfete, Guillaume Ergand, Céline Taesch
 
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